L’ART, C’EST CE QUI REND LA VIE PLUS INTÉRESSANTE QUE L’ART
Publié le 03/09/2020 | Grand angle
Robert Filliou
Pour le grand retour de la saison culturelle, Bibouille vous propose d’aborder, via des grandes pistes de réflexions, notre place en tant que public, pour peut-être approfondir, augmenter ou donner une autre dimension à notre rapport à l’art et la culture.
À TOI MON PUBLIC
C’est quoi le public, en fait ?
Choisissez un mot, ou plusieurs, ou tous, pour vous dé- finir quand vous êtes en train de regarder un film au ci- néma, de visiter une exposition, d’écouter de la musique en concert, d’assister à un spectacle… Utilisez-vous dif- férents mots selon ce que vous êtes en train de faire ? Avez-vous du mal à choisir ? Quelle démarche se cache derrière chaque mot et sa définition ? Les catégories font-elles sens, vous baladez-vous entre elles ? Un exer- cice pour se poser des questions et peut-être trouver des réponses.
LE SPECTATEUR ÉMANCIPÉ, RANCIÈRE
Jacques Rancière est un philosophe français qui travaille principalement sur la politique et l’esthétique. La revue ETC l’interviewe sur le sujet du « partage sensible », titre d’un de ses ouvrages. Il revient notamment sur un autre de ses livres : « Le spectateur émancipé ». Nous vous proposons ici quelques mises en perspective.
VOUS AVEZ DIT POPULAIRE ?
Jacques Rancière s’est notamment spécialisé sur le XIXème siècle, ses utopistes et l’émancipation ouvrière. Il rappelle ainsi qu’au XIXème siècle, il y a eu tout un débat sur la poésie ouvrière. Les ouvriers devaient produire des chansons populaires, et ils ont au contraire produit des alexandrins, pour affirmer une égalité dans la jouissance des mots. Un exemple qui n’est pas sans écho avec le débat d’un art populaire et l’accessibilité à la culture.
ORGANIQUE
Malgré de très belles initiatives culturelles virtuelles (visites de musées sur internet, concerts en streaming vidéo… ), la période de confinement nous a rappelé l’importance des corps, ces corps qui se réunissent dans une salle, des couloirs, un festival, des gradins, pour partager une expérience. Jacques Rancière rappelle ainsi que « Le corps est l’échangeur entre les formes de l’art. Il est sûr qu’entre les formes plastiques et les formes des arts de la performance, le corps est le point de rencontre, le point central et que les échanges passent nécessairement par lui. »
Il y a autant de corps qu’il y a d’artistes et de spectateurs, la rencontre physique est nécessaire et obligatoire que ce soit entre l’artiste et l’oeuvre qu’entre le spectateur et l’oeuvre.
UNE FORÊT DE SIGNES
Il y a dans l’art contemporain comme un gouffre qui sépare les personnes travaillant dans le domaine de l’art des per- sonnes qui viennent visiter une exposition. Qui ne s’est jamais senti un peu bête devant un ta- bleau d’art abstrait ou d’art brut ? Le philosophe ramène les choses à leurs racines : « De cet ignorant, épe- lant les signes, au savant qui construit des hypothèses, c’est toujours la même intel- ligence qui est à l’œuvre, une intelligence qui traduit des signes en d’autres signes et qui procède par comparaisons et figures pour communiquer ses aventures intellec- tuelles et comprendre ce qu’une autre intel- ligence s’emploie à lui communiquer. » S’inspirant peut- être de Baudelaire et de son « homme qui se promène dans une forêt de symboles », Rancière fait part ici d’un point central de sa réflexion : l’égalité des intelligences. Alors stop les complexes !
TOUJOURS ACTIF
L’opposition entre passif et actif est un des sujets qui traverse le livre Le spectateur émancipé. Depuis Platon, le spectateur qui regarde est considéré comme passif, par opposition à un public actif qui participerait, par dif- férents biais et manières, à l’oeuvre qui se déroule sous ses yeux. Mais en quoi regarder, c’est être inactif ? Re- garder est aussi une action. C’est observer, sélection- ner, comparer, interpréter. Rancière explique ainsi : « Il [le spectateur] lie ce qu’il voit à bien d’autres choses qu’il a vues sur d’autres scènes, en d’autres sortes de lieux. Il compose son propre poème avec les éléments du poème en face de lui. » Regardons en toute liberté !
LA MÉDIATION CULTURELLE
Qui sont ces personnes munies d’un badge ou d’un chasuble qui viennent à notre rencontre, dans un musée, une exposition, un parcours artistique, pour venir nous parler d’un tableau ou d’une installation ?
Jean Davallon, dans son texte : La médiation : la communication en procès ?, rappelle la définition commune de la médiation culturelle : « elle vise à faire accéder un public à des oeuvres (ou des savoirs) et son action consiste à construire une interface entre ces deux univers étrangers l’un à l’autre dans le but de permettre une appropriation du second par le premier. »
Cette définition induit une notion fondamentale : la construction d’une relation à l’art.
Ressentir comme évident notre accès aux oeuvres, c’est oublier que nous avons rencontré sur notre chemin des médiateurs et des médiations, diffus ou conscients : des personnes – les médiateurs culturels, mais aussi des outils comme des cartels d’explication et de contextualisation, des cartes mentales, etc.
Plus qu’un rapport de « sachant à ignorant », la médiation s’incarne comme des actions d’accompagnement qui favorisent l’interprétation des oeuvres. On entre alors dans une rencontre, entre l’oeuvre, l’artiste (même s’il est absent) et le public / l’individu, avec une diversité d’expériences.
La médiation culturelle trace en quelque sorte des chemins de traverse, et il n’appartient qu’à tous et chacun de les emprunter ou non, dans le rapport à l’art qu’on cultive en soi.
IMAGINE
Dans cette jungle colorée, à la fois abstraite et concrète, il est parfois difficile de s’y retrouver. Et pourtant, un regard glissant peut s’y accrocher parfaitement. Les formes, les ombres et les couleurs affirment leur caractère… et tout devient plus clair. Un détail attrayant, et les inconnus ne sont soudains plus de simples passants. Sur les mêmes notes accordées, tous se mettent à danser. Sur le même rythme endiablé, tous sont liés désormais. Ils y ont succombé ces inconnus, au coup de foudre impromptu.
Orane Danet
TRANSMETTRE
Initier les enfants à l’art paraît parfois fort compliqué. Par quoi commencer ? Est-ce que j’emmène la grande et le petit au musée en même temps ? Quel chemin choisir ?
Marie Sellier est auteure d’une quarantaine de livres sur l’initiation à l’art pour les enfants. Pour elle, tout commence par se décomplexer : « Tout commence par la peur des adultes, cette espèce de trouille de celui qui se sent exclu d’un monde dont les codes lui échappent. Je suis toujours étonnée du nombre de personnes qui me disent : « L’art, je n’y connais rien. » Ou des enseignants qui se rabattent sur le français ou les maths en lieu et place de l’initiation artistique qu’ils craignent de ne pas maîtriser. La démarche, pourtant, est d’abord sensible, ouverte à tous, il suffit d’ouvrir les yeux, sans préjugés. De laisser venir les émotions ».
EN POSITION
Découvrez avec eux. S’approcher, observer les détails, tourner autour de l’œuvre, se mettre à leur hauteur…C’est étonnant comme le point de vue change selon qu’on mesure 1m ou 1m70 ! Lorsqu’il s’immobilise devant une œuvre, laissez-le s’asseoir, s’allonger même. Dans les musées, les parquets sont parfois délicieusement glissants… et accueillants !
C’EST TOI L’ARTISTE
Les enfants ont besoin de toucher, colorier, observer pour se plonger dans l’éveil artistique, et pour s’intéresser à une œuvre d’art qui peut parfois sembler complexe. Ramenez papier et crayons de couleur pour que votre enfant prenne le temps de dessiner les œuvres comme il les voit. Il n’y a rien d’incongru à voir un enfant allongé en train de dessiner.
VOS YEUX ONT LA PAROLE
Ensuite on peut parler à partir d’un détail : un chapeau, un ruban, un personnage, une couleur… « Qu’est-ce qui est pareil ? Qu’est-ce qui est différent ? » Vous pouvez aussi construire, bâtir des hypothèses, des petits morceaux d’histoires avec des : « Peut-être que c’est… » On a le droit de dire : « J’aime pas, je ne ressens rien… ». Tout petit, on peut déjà exercer son esprit critique et dire pourquoi on n’aime pas.
DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR
Il y a à peu près autant de manières d’aborder la notion de public que d’artistes. Voici quelques citations choisies, pour rire et faire réfléchir.
« Ce sont les regardeurs qui font le tableau » Marcel Duchamp
« Il n’est en art qu’une chose qui vaille : celle qu’on ne peut expliquer » Georges Braque
« Les trois coups. Les projecteurs. Le rideau. J’entre. Qu’est-ce que je vais dire ? Cette fois les choses s’arrangent. Le public a du talent. Ses ondes me portent. Je me lance. » Jean Cocteau
« C’est drôle comme les gens qui se croient ins- truits éprouvent le besoin de faire chier le monde. » Boris Vian
Mais encore
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