TOUS·TES DES SAUVAGES
Publié le 04/03/2025 | Grand angle

Pour le printemps, et le reste de l’année, soyons des corps fous, ensauvageons-nous ! Et suivons joyeusement les suggestions de Liv Stromquist dans son livre La pythie vous parle : « Perdez le contrôle de vous-même, perdez le contrôle de votre corps, (…), ne suivez aucun conseil, (…), sortez ! »
QU’EST-CE QUE TU SENS ?
Est-ce qu’on parle assez du miracle de nos cinq sens qui nous permettent de saisir et sentir des informations de mille manières différentes et incontrôlées ?
A l’ère de l’information, de la communication et du numérique, on peut avoir tendance à oublier que le langage et l’image ne sont pas nos seules façons d’appréhender le monde. C’est aussi avec le corps que nous le comprenons.
Jean Giono écrit ainsi dans Le chant du monde (1934) : « C’est pas les noms qui comptent, dit-elle. (…) Toutes les choses du monde arrivent à des endroits de mon corps – elle toucha ses cuisses, ses seins, son cou, ses joues, son front, ses cheveux – c’est attaché à moi par des petites ficelles tremblantes. Je suis printemps, moi maintenant, je suis envieuse comme tout ça autour, je suis pleine de grosses envies comme le monde maintenant. »
Déborder d’envies, qu’est-ce que c’est joyeux, libre et
vivant ! Soyons plein·es de grosses envies à ne plus savoir
qu’en faire ni comment les exprimer, quitte à être drôles
et maladroits, la chair gonflée et l’œil jubilant.
CONDITION HUMAINE
Le rapport à notre corps nous parle de notre rapport à la vie et à la mort.
A ce jour, on sait que nous sommes la seule espèce vivante qui a conscience de sa propre finitude. Si on peut s’interroger sur l’existence de notre « âme » et si celle-ci serait éternelle ou non, notre corps lui, a une durée de vie limitée. C’est pas facile de vivre en sachant que ceux qu’on aime et nous-même vont finir par mourir, et c’est normal ! Alors, en tant qu’êtres conscients, on déploie des trésors de pensées pour donner du sens et garder la joie : Dieu, la philosophie, la médecine, la spiritualité, l’IA, le développement personnel…
Dans son livre La pythie vous parle, l’autrice et illustratrice suédoise Liv Stromquist se penche sur ce dernier, qui connaît son lot de coaches et d’experts, partageant leurs diverses méthodes sur Internet : breathworking, routine du matin, fractionné en course à pied, autosuggestion… A quoi servent ces méthodes ? A prendre soin de son corps, pour vivre plus sainement… Et repousser la mort.
Il y a eu le corps chrétien, qui n’est que l’enveloppe charnelle de notre âme, corps pécheur avec lequel composer – et dont les désirs et instincts doivent être soumis à la vertu – avant d’accéder à la vie éternelle au paradis ou en enfer ; le corps utile des travailleurs, qui a le devoir de dormir et de manger pour continuer de servir et qui s’éteint avec l’alcool dans le Germinal de Zola ; aujourd’hui il y a le corps capitalisé : sportif, lisse, utile et agréable, à peine marqué par les traces de fatigue, d’accouchement ou de vieillesse, éternellement jeune
et beau.
Liv Stromquist n’y va pas par quatre chemin, elle déclare avec le philosophe Zygmunt Bauman : « Dans la vision qu’en ont les modernes, la mort se conçoit comme un événement individuel qui frappe telle personne pour une raison précise ; précisément pour ce qu’elle a fait ou qu’elle aurait pu éviter. (…) La vie elle-même, lorsqu’elle est colonisée par ce type de mort, devient individuelle, isolée, non partagée avec autrui. Si ma mort est causée par quelque chose que j’ai fait ou que j’aurais pu éviter, par manque d’action ou par négligence, alors ma survie n’en devient que davantage une affaire personnelle de ma propre responsabilité.»
Notre façon de voir la vie et la mort (car les deux vont ensemble) conditionnent le rapport que nous entretenons avec notre corps, et notre corps dans la société. Dans le désir de contrôler les corps, il y a le désir de contrôler la vie, et donc la mort. Cette façon d’envisager la vie est entièrement coupée de l’idée de communauté, d’entraide, l’idée de traverser les peurs et les peines ensemble, puisque chacun serait maître de son destin, qui n’existerait qu’indépendamment des autres. C’est en parfaite adéquation avec la conception néolibérale de l’individu et de la société. Et une conception n’est pas une vérité fatale.
ALORS ON DANSE
« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » Arthur Rimbaud, Illuminations
DANSER AVEC NIETZSCHE
On a souvent associé – à tort – le philosophe Friedrich Nietzsche au fatalisme et au nihilisme. Il essayait surtout d’établir une philosophie qui pouvait dépasser le pessimisme. Et alors, saviez-vous que Nietzsche était un immense fan de danse ? Il écrit par exemple : « Une journée sans danse est une journée de perdue », ou « Je ne pourrais croire qu’à un dieu qui saurait danser ». Il développe encore, dans Le crépuscule des idoles : « danser avec les pieds, avec les idées, avec les mots, et dois-je aussi ajouter que l’on doit être capable de danser avec la plume ? ». Pour lui, la danse était un antidote à « l’esprit de pesanteur » des philosophes ; il l’emploie systématiquement comme une métaphore d’une pensée et d’une pratique qui sait mettre en mouvement.
Le célèbre danseur et chorégraphe Maurice Béjart rend
d’ailleurs à Nietzsche un hommage constant, notamment
dans son ballet Zarathoustra, Le chant de la danse, mais
encore dans son recueil d’entretiens Ainsi danse Zarathoustra, où il écrit ainsi : « La danse est toujours née d’un rituel. Qu’il soit social, magique ou, pour la plupart du temps, sacré. (…) D’autre part, la danse permet d’établir un contact vraiment profond avec toutes les races, toutes les cultures, toutes les langues. Langage universel, la danse est ce qui rapproche le plus du divin (…).»
DANSER, UNE PHILOSOPHIE
Les philosophes s’intéressent à l’art de la danse depuis l’Antiquité, avec Platon pour commencer. On l’a vu, Nietzsche lui donne une place fondamentale dans son travail, mais il n’est pas le seul : Henri Bergson, Paul Valéry, Jacques Rancière… Pour Platon, la danse faisait partie intégrante de son concept d’éducation idéale dans la République, où il discute de son rôle dans la formation morale et physique des citoyens. Dans le résumé du livre de Paul Valéry Philosophie de la danse, son éditeur écrit ainsi : « Se détachant de l’utile, la danse est une action poétique. L’homme a découvert le plaisir pris dans le rythme, dans l’enivrement des sens jusqu’à épuisement. » Et dans le podcast sur France Culture Les pieds sur terre, intitulé « La danse, c’est la vie », une femme résume bien l’idée et déclare : « Tout danse ! Un arbre, les feuilles, le vent qui passe, les algues dans la mer, les fleurs… Tout danse en permanence, c’est une immense danse. »
(Reportage réalisé par Elise Andrieu)
À l’écran
LE GRAND BAL – LAËTITIA CARTON
FR – 2018
C’est l’histoire d’un grand bal. Chaque été, plus de deux mille personnes affluent de toute l’Europe dans un coin de campagne française. Pendant sept jours et huit nuits, ils dansent encore et encore.
Quand on demande à la réalisatrice pourquoi ce film, elle répond ainsi : « il n’y a pas d’âge pour aller au bal. Toutes les générations, jeunes et vieux se mélangent et dansent ensemble. C’est une des choses qui me réjouit le plus. (…) C’est vraiment la possibilité de rencontrer l’autre. (…) cette émotion, cette convivialité, cette énergie partagée qui naît de ce collectif, je ne la trouve pas ailleurs. (…)
On oublie le temps d’un bal la hiérarchie, la pyramide sociale, les rapports de domination. Parce que notre besoin de consolation, de reconstruire des liens est sans fond. Nous vivons tous dans une société bouffée par la création de besoins artificiels, une société de marchandise qui pousse à consommer, seul et vite. (…) La danse trad permet de retrouver le plaisir d’être avec les autres et avoir des pratiques communautaires qui n’existent plus aujourd’hui. En partageant cette fête, on redécouvre qu’une unité existe et qu’on y a une place. »
Zoom sur…
LA PESTE DE LA DANSE À STRASBOURG
Strasbourg, le 14 juillet 1518. Frau Toffea se met à danser
seule dans les rues et, malgré les supplications de son mari, continue ainsi six jours durant, s’autorisant à peine quelques siestes. Dix jours plus tard, ils sont 50 à danser ainsi. Au total, ils seront plus de 400 à se trémousser sur les places et dans les rues strasbourgeoises, des jours et des nuits entières… Pour beaucoup jusqu’à en mourir.
Cette épidémie dansante est un fait historique avéré et
n’est ni la première ni la dernière de l’histoire. On ne sait toujours pas cependant en déterminer la cause : empoisonnement ? Culture hérétique ? Possession démoniaque ? « La description clinique évoque une hystérie, au sens psychiatrique du terme, avec des symptômes de conversion », explique le pédopsychiatre et chercheur Bruno Falissard à une journaliste dans Le Monde. « La psychiatrie a une vision biologique ou psychanalytique des troubles mentaux, mais elle oublie le rôle très important du groupe dans la structuration de l’individu, poursuit-il. Or, le groupe peut devenir une entité à part entière, avec une synchronisation des comportements. »
Mais encore

Une légende veut que la première fève ait été une bague perdue dans la pâte de la galette que confectionnait…
J’AI LA FÈVE

Après un été à s’être réchauffé — tant bien que mal — aux rayons du soleil, Bibouille vous invite pour…
Alsace insolite

Depuis des millénaires, la forêt traverse nos imaginaires et participe de nos histoires communes. Théâtre de mythes, contes et autres…
DANS LA FORÊT PROFONDE

À l’honneur de ce numéro : Mulhouse, cette grande ville du sud de l’Alsace cosmopolite et « jeune » qui…
Les maisons du moulin

Les réjouissances de fin d’année riment avec délices et on peut dire qu’en Alsace on a de la chance car…
À table !

On n’est pas un magazine de décoration d’intérieur. On n’est pas davantage un magazine de jardinage. Pour autant, en ces…
VERTIGE

« Venez, je veux aimer, être juste, être doux, Croire, remercier confusément les choses , (…) Ô printemps ! bois…
Prima Vera

Avec du beurre dedans ! Rappelez-vous quand vous étiez le plus jeune et que vous deviez aller sous la table…
J’AIME LA GALETTE

C’est parti pour les activités en famille à la neige ! Avec une météo capricieuse, il vaut mieux ne pas prendre…
Tout Schuss des Vosges au Donon !
Dans ma valise, j’ai…
FÉERIES DE L’ÉTRANGE

Que se cache-t-il sous l’acronyme ESS ? Une économie sociale et solidaire pour acheter et consommer responsable, en favorisant les…
L’hiver social et solidaire

Sortir… S’aérer l’esprit et le corps, profiter de ce décor à couper le souffle que nous offre notre belle région…
SPÉCIAL NEIGE

Robert Filliou Pour le grand retour de la saison culturelle, Bibouille vous propose d’aborder, via des grandes pistes de…
L’ART, C’EST CE QUI REND LA VIE PLUS INTÉRESSANTE QUE L’ART

Enfants, nous rêvons de nous asseoir ou de faire la sieste sur eux. Allongés dans l’herbe, nous cherchons des formes…
CHEVAUCHER LES NUAGES

Au programme de ce Grand Angle — une fois n’est pas coutume — Bibouille vous propose un programme spécialement concocté…
L’amour au centre

« Je ne sais pas qui a fait croire que les miracles éclataient comme la foudre ? C’est pourquoi nous…
ÉPIPHANIES DU BANAL

Haut les masques et bal de couleurs, souvent synonyme de chars et de confettis, sa majesté Carnaval est avant tout…