La nostalgie tarifiée
Publié le 30/12/2014 | Billet d'humeur
Depuis pas mal de temps, le Professeur Ouille se demande ce qui pousse notre société à survaloriser un passé abusivement idéalisé, notamment en ce qui concerne l’univers de l’enfance.
Le truc « de mon grand père », le machin « du p’tit bidule », la recette « à l’ancienne », le bidule « comme chez mémé »… Comment ne pas être perturbé par cette déferlante d’appellations marketing qui inondent désormais notre quotidien ?
Sans vouloir remettre en question les qualités en cuisine ou en bricolage de nos aïeux, il est peu probable que faire appel à leur savoir-faire ait un impact réel ailleurs que sur l’apparence et le prix des choses. Vivre une époque en perte de repères n’autorise pas à regarder le passé avec des œillères.
Ayant déjà abordé le sujet à l’occasion d’une chronique récente, on ne s’appesantira pas non plus sur l’obsolescence inéluctable des valeurs éducatives. N’en déplaise à votre « Mamema ».
Paradoxe temporel
De quoi le savoir-faire « à l’ancienne » est-il finalement le nom ? En y réfléchissant bien, nous sommes tous devenus globalement allergiques à l’inattendu et au non conforme1. Une attitude frileuse qui a créé au final une société de normes drastiques, encadrant le moindre de nos faits, gestes et produits. Tout l’inverse de ce que l’on cherche finalement dans cette fuite en arrière.
En vérité, il y a fort à parier qu’une vraie cuisine « à l’ancienne » affolerait les services sanitaires et retournerait les estomacs les plus endurcis2, qu’un jouet en bois « de mon grand père » ne passerait pas le moindre contrôle qualité NF3, que certains remèdes « de grand mère » mettraient leur conceptrice sous la menace de poursuites pour tentative d’empoisonnement et exercice illégal de la médecine. C’est donc après une image que nous courrons et non après le passé lui-même.
Le vrai reflet des vieilles marmites
Idem pour le cinéma et les adaptations de classiques : Le Petit Nicolas, Benoît Brisefer, La Guerre des boutons… autant d’odes à une époque révolue, souvent ratées d’ailleurs. Des films à double tranchant, d’un côté lumineux, joyeux et insouciants mais fleurant bon, d’autre part, les femmes reléguées en cuisine, l’autorité toute puissante du paternel4, le règne d’un ordre bien pensant et le colonialisme décomplexé.
Même traitée au quinzième degré, cette époque portera toujours en elle les châtiments corporels à l’école, les bidonvilles et le racisme institutionnalisé au moins autant que la débonnaire figure du néanmoins sympathique Gérard Jugnot.
Qui a décrété que c’était forcément mieux avant ? Juste des gens qui ont quelque chose à nous vendre.
1 – Une attitude qui va jusqu’à obliger les fabricants à marquer sur des paquets de nourriture que le visuel n’est qu’une suggestion de présentation. On ne sait jamais, des fois que certains pensaient que le petit sachet de cacahouètes contenait également un parasol, un maillot de bain et un joli bol.
2 – La chaîne du froid telle que nous l’exigeons n’a pas toujours été aussi stricte qu’aujourd’hui.
3 – Clin d’œil à la femme du Professeur
4 – Dans La Guerre des Boutons, qui est jaloux de Lebrac le gamin battu en toute impunité ou de Marie Tintin, la fille réduite au statut d’esclave domestique par les garçons du film ?
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